L’utilisation de la force dans le cadre du contrôle du comportement d’un enfant

Parmi les attributs de l’autorité parentale se retrouvent le droit et le devoir d’éducation, prévus à l’article 599 alinéa 1 du Code civil du Québec. Par conséquent, les parents doivent transmettre des connaissances à leur(s) enfant(s), de sorte à leur assurer une instruction morale, civique et scolaire qui leur permettra de s’épanouir dans la société.

Dans le cadre du devoir d’éducation, les parents sont inévitablement poussés à discipliner leur(s) enfant(s), les guidant ainsi à travers l’apprentissage de la maîtrise de soi. Ce processus peut être teinté de stress, d’incompréhension et de frustration. Malgré tout, l’éducation se doit de demeurer raisonnable en termes d’exigences physiques et psychologiques.

D’ailleurs, les recherches démontrent que les punitions physiques ne constituent pas un moyen efficace pour modifier le comportement problématique d’un enfant. Au contraire, la discipline positive tend à produire de meilleurs effets en matière d’encadrement, tant au niveau du renforcement de l’estime de soi que quant au développement d’un sentiment d’attachement envers les parents.

Dans cette optique, de quelle façon le droit vient poser des limites quant aux attitudes et aux conduites des figures d’autorité assurant l’éducation des enfants concernant le recours à la force comme outil disciplinaire ?

La protection législative fédérale et provinciale

S’appliquant partout à travers le Canada, le Code criminel prévoit des infractions qui protègent les enfants de toutes les formes de violence. L’article 265 du Code criminel définit spécialement les voies de fait de façon suffisamment générale pour y inclure tous les recours intentionnels à la force contre une autre personne sans son contentement, y étant inclus les coups de pied et les coups de poing.

En addition, chaque province a adopté des lois permettant d’agir lorsqu’un enfant subit de la négligence ou des préjudices, qu’ils soient physiques, émotionnels ou psychologiques. Au Québec, la Loi sur la protection de la jeunesse prévoit l’intervention de l’État lorsqu’un enfant a besoin de protection dans un contexte de violence.

La défense de l’article 43 du Code criminel

En contrepartie, le Code criminel prévoit également, à l’article 43, un moyen de défense dont peuvent se prévaloir les personnes en position d’autorité à l’occasion de la discipline des enfants :

43 Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.

Cette disposition est source de controverse en droit, puisqu’elle consacre en quelque sorte l’utilisation de la force raisonnable à des fins disciplinaires, en dépit des recherches et de l’opinion publique à ce sujet. À la différence de cette loi fédérale, le Québec a fait le choix de retirer la mention de « droit de correction » de son Code civil, en 1994, reflétant le changement de mentalité par rapport à la correction comportementale des enfants par l’usage de la force. En effet, l’article 43 du Code criminel est entré en vigueur au 19e siècle et il n’a subi que quelques changements depuis.

Sur le plan social, la prévention des poursuites dirigées contre les parents, le maintien de la paix au sein des familles et l’évitement de la judiciarisation des affaires domestiques servent notamment d’arguments pour justifier l’existence de la défense de l’article 43 du Code criminel. Il faut souligner qu’un argumentaire similaire fut invoqué afin de justifier la violence faite aux femmes. Ce rapprochement pousse à se questionner sur la validité d’une mesure acceptée chez les enfants, mais complètement inacceptable chez les adultes.

En juin 2019, l’Institut de la statistique du Québec rendait publics les résultats de la 4e édition de son enquête sur la violence familiale dans la vie des enfants au Québec. Au terme de cette enquête, les faits saillants retenus révélaient que c’étaient seulement 8% des mères répondantes et 13% des pères répondants qui étaient fortement ou plutôt en accord avec les énoncés ayant été présentés par rapport au bien-fondé d’une conséquence de nature corporelle.

L’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général)

En 2004, le moyen de défense de l’article 43 du Code criminel fut contesté dans l’affaire Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général). Dans cette décision jurisprudentielle, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la détermination de la constitutionnalité de la disposition en question, de même que sur sa conformité à l’égard des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement du droit à l’égalité, du droit à la sécurité et du droit à la protection contre les peines et traitements inusités.

À la suite de l’analyse du tribunal, six juges sur neuf ont validé la constitutionnalité de l’article 43 du Code criminel. Dans ses motifs, la majorité a tout de même spécifié certains paramètres d’application visant à limiter le recours à la force :

  • Les parents et les gardiens ne peuvent utiliser qu’une force légère ayant un effet insignifiant et transitoire, c’est-à-dire sans danger et de courte durée, étant donc exclu tout châtiment qui aurait pour conséquence de laisser une marque ou une ecchymose. Un acte qui ne répondrait pas à ses exigences pourrait se qualifier à titre de voie de fait ;
  • La force physique doit servir exclusivement à des fins d’éducation ou de discipline. Le recours à la force doit être limité à la désapprobation de la conduite. Il ne peut pas servir à titre de représailles ou découler d’un excès de colère ;
  • La force physique ne peut être utilisée qu’envers les enfants doués de discernement, c’est-à-dire envers les enfants qui sauront tirer une leçon du geste posé ;
  • Il n’est pas possible de recourir à la force pour discipliner un enfant de moins de 2 ans ou de plus de 12 ans ;
  • Les objets ne doivent jamais être utilisés contre les enfants ;
  • Un enfant ne doit jamais être frappé ou encore giflé à la tête ou au visage ;
  • Les traitements inhumains, dégradants ou entrainant un préjudice quelconque ne peuvent pas être qualifiés de raisonnables ;
  • Les actes posés par un enfant, peu importe leur gravité, ne peuvent pas justifier l’emploi d’une force importante.

Au regard de cette décision, toute forme de châtiment corporel infligé qui ne répondrait pas aux paramètres d’application ou aux exigences législatives est donc considérée comme une infraction au sens du droit criminel. Bien qu’il soit difficile de considérer que le recours à une force, même légère, soit acceptable dans une certaine mesure, il ne faudra pas se surprendre que le moyen de défense de l’article 43 du Code criminel soit aboli pour mieux représenter les idéologies actuelles.

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